Homélie pour la fête du sacré coeur
Une phrase rythme le chapitre 15 de St Luc dont est extrait l'Evangile de ce jour. « Il y a plus de joie au Ciel pour un pécheur qui se convertit que pour 99 justes qui n'ont pas besoin de conversion... Il y a plus de joie chez les Anges de Dieu et, à la fin du chapitre, c'est le Père lui-même qui explique sa joie parce que le fils prodigue est revenu : il était mort et il est vivant. » Cette phrase, provocatrice et presque scandaleuse, proclame la joie de Dieu à faire miséricorde au pécheur repentant, le désir de Dieu de pardonner, l'infinie miséricorde dont nous pouvons sans cesse nous approcher.
Ste Gertrude de Helfta en Saxe (1256-1302) a reçu du Seigneur confirmation de cette page de l'Evangile et même une explicitation de cette joie divine de la miséricorde.
Moniale bénédictine très marquée par st Bernard, Ste Gertrude, d'une très vaste culture humaniste, connaît une grande vie d'intimité avec le Seigneur. Elle consigne cette expérience spirituelle dans un livre - le Héraut de l'Amour divin - dont le livre II est seul directement de sa main. C'est le commencement de la dévotion au Cœur du Christ, une de ses premières manifestations au XIIIème siècle avant de connaître bien des développements au cours de l'histoire de l'Eglise.
Ste Gertrude, souvent malade, était gagnée par la tristesse de ne pouvoir aimer le Christ dans une grande fidélité, une grande application à l'office et à la méditation de la Parole de Dieu. Elle écrit alors : « Le Seigneur ne supportant pas cette tristesse lui présenta comme de ses propres mains, son cœur divin comme une lampe ardente en disant : voici mon cœur auquel en toute confiance tu demanderas de compléter pour toi ce que tu ne peux pas faire.
Et ce passage qui est un commentaire de l'Evangile de ce jour : « Une autre fois, le Seigneur me dit : chacun des deux battements de mon cœur opère de trois manières le salut des hommes. Le premier battement est ordonné au salut des pécheurs, le second au salut des justes.
Par le premier je m'adresse au Père pour l'incliner à la miséricorde, puis je m'adresse aux élus pour excuser devant eux le pécheur avec la fidélité d'un frère et les inciter à prier pour les pécheurs. Je m'adresse enfin au pécheur lui-même pour l'appeler avec miséricorde à la pénitence et attendre sa conversion avec un grand désir.
Par le second battement je m'adresse au Père pour que nous réjouissions ensemble du salut des justes dans le cœur desquels je trouve maintenant beaucoup de joie. Ensuite je m'adresse à la cour céleste pour qu'elle loue la vie sante des justes et me rende grâce de tous les bienfaits que j'accorde aux justes. Enfin je m'adresse aux justes eux-mêmes pour le aider avec tendresse et les encourager à progresser sans trêve.
De même que chez l'homme rien n'interrompt le battement de son coeur, ainsi rien ne pourra contrarier, ralentir ou interrompre en moi ces deux battements de mon cœur divin. »
Ste Gertrude nous fait donc découvrir la vie divine ainsi que la vie des saints et de la cour céleste, comme rythmée par les deux battements d'amour du cœur du Christ, un battement d'intercession pour les pécheurs et un battement de joie pour le perfectionnement des justes. Comme un frère aîné, le Christ qui incline le Père à la miséricorde, « excuse » les pécheurs devant les saints, supplée aux déficiences invincibles des justes pour les apaiser et entraine les justes et les élus dans une grande action de grâce pour le salut apporté par son mystère pascal et pour le développement intérieur sans fin des justes.
Quelques siècles plus tard, le Curé d'Ars situera la place du prêtre exactement dans ce battement du coeur de Jésus. St Jean Marie Vianney, comme prêtre, se joindra à la prière du Christ pour incliner le Père à la miséricorde, intercédera et excusera les pécheurs, n'aura de cesse d'obtenir, à tous les prix, la conversion des pécheurs et ne saura comment rendre grâce à Dieu pour son salut offert et son amour des hommes, pour cette réconciliation dont parlait St Paul. Comme le Christ, le St Curé d'Ars aura même l'intuition de suppléer à ce que les « pauvres pécheurs » comme il disait ne pouvaient faire.
« L'amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l'Esprit Saint » écrivait St Paul aux Romains. C 'est donc, en chaque disciple que nous sommes, que l'amour est donné, ce même amour étonnant que Jésus annonçait et qu'il confirma à Ste Gertrude. C'est ce torrent de miséricorde qui envahit notre cœur de croyant : qu'en faisons-nous ? Nos paroles, nos actes, nos pensées sont-elles inspirés par la miséricorde divine, par son amour ? C'est l'appel insistant que cette fête du Sacré Cœur nous adresse : au nom du Seigneur laisse-toi aimer par le Christ et à ton tour, aime tes proches avec miséricorde, à l'imitation du Père, du Fils de l'Esprit des Anges et de toute la cour céleste. Amen.