Mercredi de Pâques - Soir
Bien chers frères et sœurs, « voici le Jour que fit le Seigneur » [1] : l’Evangile nous ramène au soir de Pâques, au Soir du JOUR par excellence, le Jour – mon Jour – dira Jésus, Jour si attendu par tous les prophètes et les saints. « Abraham a vu mon Jour » dit Jésus. Et nous nous avons vu le Jour de Résurrection. « Heureux les yeux qui voient ce que vous voyez » dira Jésus aux apôtres, « tant ont voulu voir ce que vous voyez et n’ont rien vu. »
Telle est notre joie, même confinés, notre cœur est toujours aussi vaste pour accueillir le Christ.
Soyez bénis.
[1] L’expression est empruntée au Ps 117 et revient chaque jour dans la liturgie à la messe et à l’office. « Haec Dies »…
Hymne
Invités au repas de l’Agneau
revêtus de nos robes blanches
après avoir passé la mer rouge,
chantons au Christ notre Chef.
En goûtant sa chair toute sainte
brulée sur l’autel de la Croix,
en goûtant le vin de son sang,
nous vivons de la vie de Dieu.
Protégés au soir de la Pâque
contre l’Ange exterminateur,
nous avons été arrachés
au dur pouvoir de Pharaon.
C’est le Christ qui est notre Pâque,
qui est l’agneau immolé ;
azyme de sincérité,
c’est sa chair qui est livrée.
O victime vraiment digne
brisant la porte des enfers :
le peuple captif est racheté,
les biens de la vie sont rendus.
Le Christ se lève de la tombe ;
il revient de l’abîme en vainqueur,
poussant le tyran enchaîné,
rouvrant l’entrée du Paradis.
Nous contemplons le Christ Ressuscité Vainqueur du royaume de la mort : l’abîme, c’est le royaume des morts et le tyran « poussé, enchaîné », vaincu, Satan. Ainsi est rouverte la porte du Paradis fermée par Adam et Eve .
Nous Te prions, Auteur de toute chose,
en cette joie pascale
de tout assaut de la mort
défends Ton peuple.
L’hymne se clôt par une prière avant la louange finale. Le texte mentionne la Joie pascale…écho de l’Evangile et des Actes, où l’on nous dit que « les disciples étaient remplis de Joie en voyant le Seigneur » que nous connaissions la même joie et la même assurance : l’Auteur de la Vie défend son peuple.
Gloire à Toi, Seigneur,
ressuscité d’entre les morts ;
avec le Père et l’Esprit bienfaisant,
dans les siècles éternels.
Ainsi soit-il.
Les pèlerins d’Emmaüs, mosaïques de Ravenne.
Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 24, 13-35
Le même jour (c’est-à-dire le premier jour de la semaine), deux disciples faisaient route vers un village appelé Emmaüs, à deux heures de marche[1] de Jérusalem et ils parlaient entre eux de tout ce qui s’était passé.
Or, tandis qu’ils s’entretenaient et s’interrogeaient, Jésus lui-même s’approcha et il marchait avec eux. Mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître. Jésus leur dit : « De quoi discutez-vous en marchant ? »
Alors, ils s’arrêtèrent, tout tristes.
L’un des deux, nommé Cléophas, lui répondit : « Tu es bien le seul étranger résidant à Jérusalem qui ignore les événements de ces jours-ci. »
Il leur dit : « Quels événements ? »
Ils lui répondirent : « Ce qui est arrivé à Jésus de Nazareth, cet homme qui était un prophète puissant par ses actes et ses paroles devant Dieu et devant tout le peuple : comment les grands prêtres et nos chefs l’ont livré, ils l’ont fait condamner à mort et ils l’ont crucifié. Nous, nous espérions que c’était lui qui allait délivrer Israël. Mais avec tout cela, voici déjà le troisième jour qui passe depuis que c’est arrivé. À vrai dire, des femmes de notre groupe nous ont remplis de stupeur. Quand, dès l’aurore, elles sont allées au tombeau, elles n’ont pas trouvé son corps ; elles sont venues nous dire qu’elles avaient même eu une vision : des anges, qui disaient qu’il est vivant. Quelques-uns de nos compagnons sont allés au tombeau et ils ont trouvé les choses comme les femmes l’avaient dit ; mais lui, ils ne l’ont pas vu. »
Il leur dit alors : « Esprits sans intelligence ! Comme votre cœur est lent à croire tout ce que les prophètes ont dit ! Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela pour entrer dans sa gloire ? » Et, partant de Moïse et de tous les Prophètes, il leur interpréta, dans toute l’Écriture, ce qui le concernait.
Quand ils approchèrent du village où ils se rendaient, Jésus fit semblant d’aller plus loin. Mais ils s’efforcèrent de le retenir : « Reste avec nous car le soir approche et déjà le jour baisse. » Il entra donc pour rester avec eux.
Quand il fut à table avec eux, ayant pris le pain, il prononça la bénédiction et, l’ayant rompu, il le leur donna. Alors leurs yeux s’ouvrirent, et ils le reconnurent, mais il disparut à leurs regards. Ils se dirent l’un à l’autre : « Notre cœur n’était-il pas brûlant en nous, tandis qu’il nous parlait sur la route et nous ouvrait les Écritures ? »
À l’instant même, ils se levèrent et retournèrent à Jérusalem. Ils y trouvèrent réunis les onze Apôtres et leurs compagnons qui leur dirent : « Le Seigneur est réellement ressuscité : il est apparu à Simon-Pierre. » À leur tour, ils racontaient ce qui s’était passé sur la route et comment le Seigneur s’était fait reconnaître par eux à la fraction du pain.
– Acclamons la Parole de Dieu.
Commentaire :
« Rappelons que les exégètes les plus critiques reconnaissent le caractère intact, quasi originel, de certains épisodes décisifs comme celui des pèlerins d’Emmaüs. »[2]
Emmaüs : La localisation exacte de ce village, dont Luc nous précise qu'il se trouve à 60 stades de Jérusalem, soit 12 kilomètres environ, est discutée … car certains manuscrits ont 160 stades… ce qui doit être une erreur car cela fait plus de 30 kms ! [3]
Ce qui est très intéressant, c’est que les deux disciples ne reconnaissent pas Jésus. C’est très fréquent dans les apparitions racontées par St Luc et St Jean : ils insistent sur le fait que les disciples ne reconnaissent pas immédiatement le Christ ressuscité. Cela ajoute à la difficulté de reconnaître le fait de la Résurrection.
Pour deux raisons : le corps du Ressuscité se trouve dans un état nouveau qui modifie son mode de présence et l'affranchit des conditions sensibles de ce monde (espace et temps). Mais surtout, il faut un certain temps de réflexion ainsi qu'une parole ou un signe, voire les deux comme ici, pour que ses disciples le reconnaissent, il faut surtout que la foi naisse dans le cœur. Car nous devons nous mettre dans la tête que les disciples n’attendaient rien ! La Résurrection, c’était pour eux, à la fin des temps et tous ensemble sur cette terre, comme on le voit bien dans l’espérance terrestre des disciples d’Emmaüs : « Nous, nous espérions que c’était lui qui allait délivrer Israël. » …délivrer Israël des Romains ! Le témoignage des deux disciples est intéressants : cela ressemble à ce que peuvent dire des gens bien intentionnés sur le Christ… sans la foi. Tout est vria- c’est de Jésus qu’ils parlent – mais tout est mort. Ce que serait le christianisme sans la résurrection.
D’ailleurs Jésus les accuse d’être lents à croire. Et il les replonge dans les Ecritures en les obligeant à voir que les Ecritures ne parlent pas d’un Messie politique de puissance mais de service et de mort : « Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela pour entrer dans sa gloire ? » pourtant, quand l’étranger parlait, leur cœur brûlait. Ils ne s’en re dent compte qu’après !
Après les Ecritures, le geste : la fraction du pain. Saint Luc emploie ici le terme qu'il reprendra à plusieurs reprises dans les Actes des Apôtres pour parler de l'Eucharistie. Rompre le pain n’est pas un geste inventé par Jésus. Ce geste est accompli par le père de famille à tous les repas religieux les jours de shabbat et de fête et tout particulièrement lors de la Pâque, où la galette de pain est sans levain (azyme). Il a lieu au début du repas, après que le père a prononcé la bénédiction. Ce geste sur le pain rappelait aussi le partage de l’Agneau qui avait eu lieu au Temple au moment du sacrifice pascal.
Jésus, à la Cène, fait donc un geste juif auquel il donne un sens christique, pascal. Il accomplit ainsi les quatre actions juives que contient ce geste, comme il est redit dans le récit de l’institution : Jésus prit du pain, Il le bénit ou plutôt il rendit grâce, Il le rompit : c’est la fraction proprement dite et il le donna. Ce geste renvoie aussi au Christ « notre Agneau pascal », c’est pourquoi il a lieu à la messe pendant qu’on chante « Agneau de Dieu ». Normalement il ne devrait y avoir qu’une seule hostie – un seul pain – que le prêtre briserait à la fraction du pain pour chaque participant. Il y aurait alors, comme dit St Paul, un seul Pain – un seule Eglise – faisant l’unité de tous ceux qui en reçoivent leur part.
L’histoire des pèlerins d’Emmaüs nous éclaire beaucoup du point de vue eucharistique.[4] D’une part parce qu’ils ont reconnu Jésus et que leur cœur devient brûlant d’amour en écoutant le Christ leur parler. D’autre part parce que ce récit est une parfaite évocation de la liturgie eucharistique qui se compose de quatre temps :
1 – Accueil et liturgie pénitentielle : Les disciples, hommes découragés dont l’espérance est brisée, sont rejoints par Jésus, attentif à leur tristesse.
Rejoints nous-mêmes par Jésus, notre Sauveur, sachons lui dire nos peines et nos souffrances, nous confier à lui. Ainsi, au début de la messe, reconnaissant nos faiblesses, nous nous laissons accueillir par Dieu qui nous donne son pardon.
2 – Liturgie de la Parole : Pour faire comprendre aux disciples comment, dans les Ecritures, sa mort et sa Résurrection entrent dans le plan divin du salut, Jésus prend la parole et se livre à une explication de la Bible.
A la messe, lecture de la Parole et homélie du prêtre sont un temps d’écoute où Dieu et l’histoire du salut se révèlent à nous.
3 – Liturgie de l’Eucharistie La reconnaissance du Ressuscité, profondément commencée chez les disciples par l’interprétation des Écritures, ne va s’accomplir que dans le geste de la fraction du pain. « Aux disciples d’Emmaüs qui demandaient à Jésus de rester avec eux, ce dernier répondit par un don beaucoup plus grand : Il trouva le moyen de demeurer avec eux par le sacrement de l’Eucharistie. Dieu comble notre plus grande faim, celle d’être unie à Lui. » (Jean-Paul II). Comme les pèlerins, par notre foi, le Christ devient visible à notre cœur dans l’Eucharistie, présence même du Christ. Le sacrifice de la croix et le sacrifice de l’Eucharistie sont un unique sacrifice : le don de Dieu par excellence.
4 – Liturgie de l’envoi Forts de cette rencontre, les disciples inversent leur voyage et deviennent témoins. A la fin de la célébration eucharistique, encouragés par tout ce que nous venons de vivre, le prêtre nous envoie proclamer et partager tout ce que nous avons reçu. La célébration eucharistique fait de nous des ressuscités, capables de témoigner du mystère pascal à nos frères.
[1] Le texte dit 60 stades soit environ 12 kms de Jérusalem.
[2] Olivier Clément Le Christ terre des vivants. 1976. Edi. de 2019 p. 50
[3] Amwas à côté de l’abbaye de Latrun, à 160 stades comme certains manuscrits, Abu Gosh ou Qiryat-Téarim, route de Jaffa, où se trouve une abbaye bénédictine et où séjourna autrefois l’Arche d’Alliance et Al-Qubaybah près de Lydda, Lod aujourd’hui. Rien n’est probant.
[4] Cette lecture eucharistique est presqu’ absente chez les Pères. Elle est tardive…
GLOIRE A TOI SEIGNEUR RESSUSCITE
PAR TA LUMIERE TU DONNES LA VIE
ALLELUIA ALLELUIA
Quand se lève sur nous la douceur de Ta Pâque
Nous marchons le cœur lourd et nos yeux ne voient pas
Tu viens sur le chemin et nos cœurs sont brûlants
Quand l’Ecriture s’accomplit en Ta Chair ressuscitée.
Quand se lève sur nous la lumière de Ta Pâque
Et que tombe le soir, au fond de notre cœur :
Tu restes auprès de nous et partages le Pain
Pour que ressuscités, nous devenions Ton Corps.
Quand se lève sur nous l’Amour du Dieu Vivant
Nous célébrons le Père qui a livré le Fils
Et nous chantons le Christ Ressuscité des morts
Dans la joie de l’Esprit, la Source de la Vie.
Ravenne. Saint Apollinaire in classe. La Croix glorieuse. Photo Martine Boiché
Commentaires
J'ai bien aimé le commentaire de l'histoire des pélérins d'Emmaüs qui est très instructif.
Faire la comparaison avec le déroulement de la liturgie eucharistique est original (c'est la première fois que je la vois faire) me paraît tout à fait bienvenu.