La Croix Glorieuse
La crucifixion du Seigneur fut pour les apôtres, les disciples, les proches de Jésus un véritable effondrement, un séisme. Un fiasco complet. Non seulement ils eurent la douleur de perdre un ami et un maître – et dans quelles douleurs ! – mais toute leur espérance dans le Royaume de Dieu placée en Jésus leur parut une terrible erreur, un rêve, une infidélité à la Loi, un fourvoiement... « Nous espérions que c’était lui qui allait délivrer Israël » disent les pèlerins d’Emmaüs, tout tristes. L’échec de celui qu’on avait identifié comme le Messie. Et il n’a rien fait pour se défendre.
Et en plus « voilà trois jours que ce événements se sont passés »... sous-entendu et il ne s’est rien passé ! Rien n’a changé, rien n’est advenu, nous sommes dans la même situation qu’avant, avec un échec et une espérance abolie... les pèlerins retournent chez eux... Pierre et les apôtres reprennent leur métier de pécheurs à Capharnaüm.
Voilà ce que nous vivons chaque année le vendredi saint. Voilà pourquoi pendant plusieurs siècles, les chrétiens ne voulaient pas représenter la croix.
Pourtant, la Résurrection est advenue ! Et ce fut à nouveau difficile pour les apôtres d’admettre ce fait qui, lui, est totalement nouveau ! Ce n’était pas leur espérance ! Ils espéraient selon la logique du vieux monde déchu qui est le nôtre. Ils espéraient le royaume c’est-à-dire pour eux, un mieux dans la situation habituelle de l’homme, dans son monde, selon ses habitudes, un mieux sur cette bonne vieille terre. « Est-ce maintenant que va rétablir la royauté en Israël ? » demandent-ils encore juste avant l’Ascension ? Ne nous étonnons pas... nous leur ressemblons. Nous aussi, nous pensons toujours que le nouveau, c’est de rétablir un peu mieux ce vieux monde déchu dans lequel nous sommes. Même parfois notre Eglise fait ainsi quand elle parle de fraternité et de convivialité comme si nous étions capables de la construire plutôt que de charité à recevoir et à vivre humblement ,... quand elle parle à l’infini d’écologie et d’Eglise verte, ... le salut, c’est seulement l’amélioration d’aujourd’hui.
Lui Jésus parle d’un homme nouveau, d’une terre et d’un ciel nouveaux que Dieu fait, avec nous certes, mais dont il est l’auteur et le réalisateur premier ! Un monde nouveau qui n’est pas le rafistolage du monde déchu ni le rêve d’un monde idyllique que nous saurions faire comme Babel et qui ne peut pas être.
Lui Jésus il parle d’une Résurrection commencée en Lui et continuée en et par ses disciples unis à Lui. St Jean très tôt fait découvrir aux chrétiens les fruits immenses de cette croix douloureuse au point qu’il montre Jésus parler de la Gloire de la Croix ! La Gloire du Seigneur a maintenant éclaté quand il écrit son Evangile mais il ne faut pas la séparer de la Croix ! Jésus dit : « Il faut que le Fils de l’homme soit « élevé » dans tous les sens : c’est-à-dire élevé physiquement sur la Croix mais aussi et en même temps, exalté dans la gloire afin que quiconque croit en lui ait la vie
éternelle. »... soit divinisé. (Jn 3/14-15). Dieu a tout fait pour se faire connaître aux hommes et les faire vivre de son amour et de sa propre vie : il a donné la création, il a confié son secret à Israël pour qu’il le révèle... Mais les hommes ont préféré leur sagesse à la connaissance de celle de Dieu ! Alors il a fallu la folie de la Croix comme dit St Paul : IL FAUT donc selon le dessein de Dieu que DIEU LUI-MEME AYANT PRIS UNE NATURE HUMAINE SOIT CRUCIFIE, élevé sur la croix, POUR QUE LA VIE ETERNELLE soit donnée aux hommes QUI CROIENT. Dieu aurait-il pu faire plus pour montrer aux hommes « l’amour fou »1 qu’il leur porte, à ce point, cette folie de la Croix ?
Le voilà le monde nouveau que nous offre le Christ : il est au cœur de ce monde déchu où nous vivons et où il jaillit du Christ élevé sur la Croix qui est ainsi une croix glorieuse, une croix donnant la Vie de Dieu.
Et ce monde nouveau, il est vivable dès aujourd’hui mais sans commune mesure avec ce monde qui passe. Il est la Vie même de Dieu qui est donnée – coulant du côté transpercé du Christ – et en rénovant les hommes, il transfigure le monde déchu en attendant que tout soit totalement accompli, à la fin des temps. C’est en ce sens que la Croix nous fait pénétrer déjà avec le Christ dans la Gloire divine. La Croix donc, la Croix douloureusement Glorieuse contredit, confond la sagesse des hommes selon leur monde.
Et c’est à prendre ou à laisser !
Mais alors comment entre-t-on dans ce monde nouveau ? Par la Foi et uniquement par elle. St Paul est clair : « l’homme laissé à sa seule nature n’accepte pas ce qui vient de Dieu, il ne peut pas comprendre. » 2 Et cette foi est un don de Dieu reçue au baptême. La foi est hors de notre portée. « Don de Dieu, elle dépend de lui. Elle vient d’ailleurs. Nous ne pouvons pas nous-mêmes la produire. Elle constitue un autre moyen de savoir (qui nous sommes, qui est Celui qui nous a donné la création, pour qui ce monde est fait, pourquoi il est ainsi déchu...) un autre moyen de savoir que ceux que nous possédons déjà, nécessaire pour que nous voyions une autre dimension dans le réel ; elle constitue presque un autre organe dont nous avons besoin pour vivre pleinement. 3»
On entre dans la Vie éternelle que Dieu donne sur la Croix par un acte d’humilité de notre raison, un acte de soumission à la Sagesse de Dieu, une acceptation totale de la Parole de Dieu, une volonté d’en vivre pour comprendre dans toute sa profondeur le monde nouveau et la vie nouvelle que nous vivons dès maintenant. Sages en Dieu et selon Lui, voilà ce que nous devenons par la foi. Amen.
1 Pour parler comme St Jean Chrysostome ou Nicolas Cabasilas
2 1 Co. 2/14
3 Sir M. Edwards « Pour un christianisme intempestif » de Fallois 2020 p. 145