Itinéraire spirituel de la Vierge Marie. 4
Annonciation, Giotto, chapelle Scrovegni
Si Joseph craint de prendre chez lui Marie son épouse, est-ce parce qu’il la soupçonne ? N’est-ce pas plutôt parce qu’il se juge indigne de prendre comme une épouse une femme choisie par Dieu pour donner la vie au Messie ! L’ange répond : « Ne crains pas ! ». Il veut lui enlever du cœur son scrupule bien légitime ! et il ajoute que Dieu attend de Joseph son rôle de père: « tu lui donneras le Nom de Jésus… » Comment penser aussi que Marie n’ait rien dit à Joseph, quand on connaît la qualité extraordinaire de ce couple et de cet homme que l’Evangile qualifie de « Juste ». Je préfère songer que Dieu a réglé le calendrier de son dessein de telle sorte que le secret puisse être jalousement gardé entre Marie et Joseph, que les débats du juste Joseph sont restés dans le secret du jeune couple devant Dieu. D’ailleurs habitants de Nazareth de si mauvaise foi n’ont pas évoqué ce fait quand ils ont voulu rejeter leur concitoyen du haut de leur escarpement !
C’est donc dans le secret de sa maison que Marie reçoit la visite de l’Ange. Un témoignage des évangiles apocryphes ajoute un détail touchant qui permet de lier les deux lieux de culte de l’Annonciation aujourd’hui à Nazareth: « le Protévangile de Jacques, qui remonte toutefois au deuxième siècle et qui malgré ses nombreux souvenirs légendaires, peut tout de même avoir conservé des souvenirs authentiques, ce Protévangile répartit l’événement de l’Annonciation en deux endroits . Marie « prit sa cruche et sortit puiser de l’eau. Et voici qu’une voix lui dit : réjouis-toi pleine de grâce ! Le Seigneur est avec toi, tu es bénie entre les femmes. Et Marie regardait à droite et à gauche pour voir d’où venait cette voix. Et toute tremblante, elle entra dans sa maison ; et après avoir déposé sa cruche, elle prit la pourpre, s’assit sur sa chaise et se mit à filer la pourpre. Et voici qu’un ange se tint devant elle disant : « Ne crains pas Marie car tu as trouvé grâce devant la Maître de toutes choses. Tu concevras de sa Parole.[1] » L’église catholique de l’Annonciation est construite sur la maison de Marie tandis que l’orthodoxe est sur la fontaine !
Dans cette Annonciation, Marie reçoit, de l’Ange, un nouveau Nom (Luc 1/28) : « kecharitôméné »[2] que nous traduisons par « pleine de grâce » avec comme conséquence l’« immaculée conception » tandis que les Orientaux traduisent « la toute sainte » (Panighia). Le temps du verbe – participe passé passif – indique que cet état de plénitude dans la grâce est un don divin (le passif), que cet état date d’avant la salutation de l’ange, il date de bien avant et dure toujours. Son sens ? Marie est tout entière façonnée dans la grâce de Dieu. La grâce de Dieu dans la Bible, « c’est la bienveillance personnelle de Dieu, faveur absolument gratuite, non due, par laquelle Dieu se penche sur l’homme. Mais « grâce » signifie aussi l’effet de cette faveur par laquelle Dieu se donne à l’homme. »[3] C’est-à-dire union profonde entre Dieu et l’homme dans l’Esprit Saint au point que Dieu se donne à la personne graciée, d’où jaillit la conformité des volontés et l’absence de péché. Ce Don de Dieu, Marie l’a reçu en plénitude « comblée, pleine de grâce ». Ce nouveau Nom de Marie révèle son être profond, son état devant Dieu, le mystère unique de sa personne.
St Luc note que Marie est troublée fortement de cette salutation. Curieusement, ce n’est pas la présence du messager divin qui la trouble, mais le Nom qui lui est donné ! Cette plénitude de grâce accordée depuis toujours à Marie – d’où l’Eglise tirera le dogme de l’Immaculée Conception après d’âpres débats – veut dire que dans l’être de Marie, il n’y a eu et il n’y aura nulle malice, nulle complicité avec le mal, aucun mauvais jugement, aucune mauvaise pensée, aucune arrière-pensée, aucun mauvais calcul, aucune marque d’amour-propre… C’est dire le regard de cette femme et la limpidité extraordinaire de son être.
[1] d’après Ecrits apocryphes chrétiens vol I Pléiade 1997 p. 92 cité par le cardinal Ratzinger dans Dieu est proche p. 21-22
[2] unique dans le N T ; repris par St Paul une fois en Eph 1/6 pour désigner la grâce parfaite qui est accordée en Jésus-Christ.
[3] article « grâce » dans dictionnaire de théologie catholique Rahner/Vorgrimiler.