Itinéraire spirituel de la Vierge Marie. 8
La fuite en Egypte, Giotto, chapelle scrovegni
Commence alors 30 années de vie cachée, d’humble vie de paysan, de constructeur de maison, d’objets en bois, de charrues, 30 années de vie ordinaire, faite de joies, de fêtes et de drames dont celui, à un moment inconnu, de la mort de Joseph. Travaux à Nazareth et peut-être dans les villes et villages voisins, - Séphoris est en pleine reconstruction à,l’époque – voyages à Séphoris pour y vendre les produits des travaux des champs et de vergers, voyages -pèlerinages à Jérusalem pour les grandes fêtes juives qui ponctuent l’année qui est toujours « « une année sainte ».
Le couple de Marie et de Joseph est un vrai couple, uni par l’amour et la joie de vivre ensemble. C’est un couple qui n’a pas eu d’autres enfants. Jacques et Joseph ou Joset qu’on présente comme les « frères de Jésus » dans l’Evangile sont les enfants d’une autre Marie (selon Mt 27/56 et Mc 15/40) que Jean dénomme femme de Clopas (19/25) : ce sont donc des cousins du Seigneur. Jude et Simon qui sont nommés après eux n’ont pas une parenté plus proche ! Enfin, à la mort de Jésus, le fait de confier Marie à Jean l’Apôtre confirmerait ce caractère de fils unique de Jésus. Il nous faut donc reconnaître comme une donnée des Evangiles le caractère de fils unique de Jésus.[1] La tradition de l’Eglise a de plus affirmé depuis toujours la virginité de Marie donc l’absence de relation conjugale entre Marie et Joseph. La mentalité actuelle a du mal à accepter une telle situation, certes extraordinaire ; aussi je voudrais simplement évoquer ici un mariage semblable, tout près de nous, celui de Jacques et Raïssa Maritain.
Vœu de virginité du couple Raïssa et Jacques Maritain.
Jean-Luc Barré Jacques et Raïssa Maritain, les mendiants du Ciel. Stock 1997 p. 162 à 166
A leur retour de Hollande, le 2 octobre 1912, à la cathédrale de Versailles, Raïssa et Jacques Maritain prononce un voeu définitif qui engage toute leur vie de couple. Ce vœu sera tenu secret jusqu’à la publication hors commerce du Journal de Raïssa, 50 ans plus tard. Jacques Maritain donne la note suivante pour expliquer ce vœu :
« C’est après avoir pris longuement conseil du Père Clérissac et avec son approbation et ses avis, que d’un commun accord, nous avons décidé de renoncer à ce qui dans le mariage, ne satisfait pas seulement le besoin profond de l’être humain, chair autant qu’esprit, mais est chose légitime et bonne en soi, et avons renoncé du même coup à l’espoir de nous survivre en des fils ou des filles. Je ne dis pas qu’une telle décision fut facile à prendre. Elle ne comportait pas ombre de mépris pour la nature mais dans notre course vers l’absolu et notre désir de suivre à tout prix, tout en restant au monde, au moins un des conseils de la vie parfaite, nous voulions faire place nette pour la recherche de la contemplation et de l’union à Dieu et vendre cette perle précieuse des biens en eux-mêmes excellents. L’espérance d’un tel but nous donnait des ailes. Nous pressentions aussi, et cela a été une des grandes grâces de notre vie, que la force et la profondeur de notre mutuel amour s’en trouveraient accrues comme à l’infini.
Le vœu définitif dont il est question ici dans les notes de Raïssa avait été précédé d’un vœu temporaire d’une année. Maintenant qu’elle et moi, d’une manière ou d’une autre, en avons fini avec cette terre, je ne me sens plus tenu au silence que nous avons toujours gardé sur ces choses. »
Nous sommes 11 ans après leur première rencontre et 7 ans après leur mariage. Rien ne laisse supposer que leur vie de couple ait été autre que celle de tous les couples amoureux. Raïssa écrit : « l’essence de l’amour est dans la communication de soi, avec plénitude d’allégresse et de délices dans la possession du bien aimé. »
René Mougel grand connaisseur de Maritain écrit :
« Le vœu de chasteté des Maritain n’était pas le fait de deux religieux vivant ensemble et prononçant un vœu de portée générale. Il était le fait de leur couple et les engageait l’un envers l’autre. Il importe de comprendre que non seulement le vœu des Maritain ne rompait pas dans leur mariage l’intimité de vie et de communion des époux (alors que le vœu de chasteté des religieux les établit précisément hors de cette condition du mariage) mais que paradoxalement peut-être, ce vœu prononcé au sein de leur mariage, soudait encore leur couple dans la décision commune qui les engageait l’un envers l’autre, naturellement pour un but autre qu’eux-mêmes, qu’il n’est pas difficile de deviner. »
Jacques Maritain lui est explicite : « Une des fins du mariage, le compagnonnage spirituel entre époux pour s’aider mutuellement à aller vers Dieu, se trouvait affermie et réalisée de façon supérieure, dans l’amour foui pour Dieu. Quant à l’autre fin essentielle, la procréation, elle n’était pas reniée mais transférée à une autre place, c’est une progéniture spirituelle que ces époux attendaient de Dieu et c’est à elle qu’ils se donnaient. » Amour et Amitié. cité p.164
Comme le note Jean-Luc Barré, biographe des Maritain, « un engagement aussi absolu ne pourrait se comprendre s’il ne se fondait tout à la fois sur un amour d’une puissance hors du commun et sur une exigence de vie spirituelle, elle-même exceptionnelle. » (p.165)
Les témoins nombreux qui fréquentèrent les Maritain à Meudon ou à New York, à Princeton et à Rome… essaient de rendre leur impression exceptionnelle lors de leur première rencontre avec le couple. Voici le témoignage d’Henri Massis : « Jacques Maritain m’accueillit en venant vers moi les deux mains tendues, le visage un peu penché, ce visage d’impressionnante pâleur, de la pâleur de ceux qu’éclaire la lumière du dedans. Derrière luis e tenaient sa femme et la sœur de sa femme. Ce qui me frappa, ce fut bien en effet, tout ce qui émanait de spiritualité, de lumineuse tendresse de ces êtres habités par la grâce. Et je sens encore sur nous l’exigeante ardeur des yeux qui ne nous fixaient si fort que pour nous prendre dans leur lumière. Oui, nous avions le sentiment d’être soudain transportés dans un univers merveilleux de paix, de certitude, de joie : impression de bonheur qui venait d’au-delà du monde. » L’honneur de servir Paris Plon 1935
Si deux simples fidèles ont pu comprendre un tel appel de la part du Seigneur et ont pu le vivre, pourquoi penser que c’est impossible pour Marie et Joseph, couple exceptionnel s’il en fut !!
[1] D’ailleurs sur les 343 emplois du mot « adelphos » dans le NT, 268 sont au sens métaphorique ! dans la Bible grecque il signifie toujours « cousin » et couvre un large champ sémantique. Le seul emploi du terme cousin « anepsios » dans le NT est dans Col.4/10 par Paul qui parle grec et emploie la terminologie grecque pour dire que Marc est le cousin de Barnabé. Le climat des Evangiles –Marc Mt et Jean- est sémitique et non pas grec.