Jeudi Saint 2022
Ainsi nous sommes entrés dans le Triduum Pascal, qui nous place au centre de gravité de l’année liturgique, où tout est dit et accompli de l’amour de Dieu au travers de son Fils Jésus.
Et pour commencer ce triduum il nous est donné à la fois de faire mémoire de l’institution de la Sainte Eucharistie, au travers de la première lettre aux Corinthiens de Paul, et de rentrer dans le mystère du Service au travers de l’extrait de l’Evangile de Jean.
Et ce soir, permettez que je m’arrête plus spécifiquement sur le mystère du service que Jésus transcende par le lavement des pieds. Ce choix, n’est certes pas étranger à ma vocation de diacre (Diaconos en grecque: le serviteur), mais l’exemple que nous donne ce soir notre doux Jésus, l’agneau sans tâche qui va être livré à la vindicte populaire, est si important qu’il ne peut être négligé et qu’il nous faut prendre le temps de le méditer.
Tout d’abord, c’est par un passage solennel que ce geste est introduit et cela souligne ainsi toute l’importance que Jésus lui donne. Car Il va poser cet acte unique, en toute lucidité, par amour sachant que c’est le dernier avant sa mort, « Jésus ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout ». Il veut ainsi signifier ce qu’est l’amour poussé jusqu’à l’extrême « jusqu’au bout »
Et ce geste, il le pose au cours d’un repas : moment humain caractéristique, moment de partage, d’intimité, de fraternité... Mais il le pose dans une situation particulièrement tendue, on pourrait dire dans un moment de grand calme avant la tempête : « Alors que le diable avait jeté au cœur de Judas Iscariote, fils de Simon la pensée de le livrer ». Et Il le pose pour tous les apôtres présents. Jésus va aussi s’agenouiller devant Judas, celui qui le livre. Christ est vraiment venu chercher et sauver tout être humain, proposer son salut au plus égaré, lui dire aussi qu’il est aimé, même à celui qui va le trahir...
Et St Jean de préciser : « Sachant que le Père a tout remis entre ses mains, qu’Il est venu de Dieu et retourne à Dieu... ». Ainsi tout geste posé par les mains du Christ sont des gestes de Dieu et à travers eux, ils nous révèlent le Père, le visage de Dieu, l’amour de Dieu.
Après cette introduction grandiose, majestueuse, survient un geste d’une simplicité et d’une humilité contrastantes, d’une pauvreté extrême, par lequel Jésus va dire à ses frères tout son amour.
Et, pour être en mesure de comprendre toute la signification de ce geste, il faut savoir que, dans la société juive la plus aisée, ce geste était posé par le serviteur ou l’esclave dont c’était la charge. C’était une tâche considérée comme humiliante, il fallait en effet nettoyer des pieds qui étaient souillés par le voyage à pied sur des chemins et dans des rues où la propreté ne régnait pas… C’est pourquoi elle était considérée – dans l’ordre de valeur hiérarchique des serviteurs de maison – comme la plus basse, réservée aux esclaves païens… Cela peut expliquer la réaction violente de Pierre quand Jésus s’approchera de lui pour lui laver les pieds
Mais surtout, cela veut dire toute la force que le lavement des pieds revêt en ce soir qui précède sa passion :
• Le maître se fait serviteur,
• le Créateur se fait esclave de sa création pour lui dire tout le prix qu’elle a dans son cœur : Mystère de l’amour infini que Dieu donne à chacun de nous.
Et pour poser ce geste d’amour, Jésus dépose son vêtement. Il se dénude laissant apparaître toute sa faiblesse humaine, soulignant ainsi son incarnation. Il se dépouille lui-même alors que d’autres le dépouilleront peu de temps après pour le mettre en croix (Curieux parallèle avec sa Passion).
Dieu se fait serviteur, pour que le serviteur devienne ainsi Dieu : « qui s’abaisse sera élevé, qui s’élève sera abaissé… »
Il prend ensuite un linge qu’il se noue à la ceinture. Certains Pères de l’Eglise verront dans ce linge la préfiguration du linceul qui enveloppera Jésus après sa mort (Autre parallèle avec sa Passion). Et Il s’agenouille devant ses disciples pour laver leurs pieds. Jésus nous révèle notre dignité en se mettant plus bas que nous. Il nous révèle son amour en nous mettant plus haut que Lui !!! Et tout cela pour nous élever au rang de Dieu !... Il veut aussi, comme le disait Saint Augustin, « avant de souffrir nous donner ses services, pour nous montrer que s'il souffre, il souffre pour nous » (saint Augustin : « Tractatus in Johannis evangelium », LVI 7).
C’est pourquoi Il y a de quoi avoir la tête qui tourne ! C’est ce qui fait régir Pierre qui se rend compte de ce monde à l’envers… et qui s’insurge : « Seigneur, toi, me laver les pieds ! Non, tu ne me laveras pas les pieds, jamais ! »
Alors, Jésus fait doucement comprendre à Pierre qu’au fond, il n’a pas encore compris qui est vraiment Dieu : « Tu ne sais pas à présent ; par la suite, tu comprendras. ». Oui, par la suite, Pierre comprendra que Jésus, par amour pour lui, mais aussi par amour pour nous, est allé jusqu’à la mort de la croix, que Jésus est mort pour lui, mort pour nous, mort pour moi. « Si je ne te lave pas, tu n’auras pas de part avec moi. »
Ainsi, Pierre passe à l’extrême inverse : « Pas seulement les pieds, mais aussi les mains, la tête... » Mais Jésus lui rappelle la vraie mesure qui est douceur et humilité, les pieds suffisent : Pierre sera pur tout entier si Jésus lave ses pieds. « Vous aussi, vous êtes purs... » Parole qui est dite aussi pour nous : au jour de notre baptême, le Christ nous a fait entrer dans sa mort et sa résurrection. Il nous a pris avec Lui et nous propose son programme d’amour pour vivre à fond ce baptême.
La vie chrétienne est ainsi, chaque jour, la possibilité qui m’est offerte de vivre davantage du don du baptême. Pour être pur, il faut simplement accueillir ce salut que donne le Christ. Je peux le refuser, comme Judas a refusé son amour. Je peux le refuser, oui, mais pour quel avenir ? Alors n’oublions jamais que, Dieu est venu nous chercher, est venu chercher chacun d’entre nous, « Il a pris sur lui nos blessures, il s’est chargé de nos maladies, » (Mat 8,17) pour que nous soyons avec Lui, pour que nous soyons pour LUI
Et dans les versets de conclusion, Jésus remet son vêtement et redevient vraiment le Maître et Seigneur, il préfigure le Ressuscité. Il nous fait ainsi comprendre que s’Il s’est mis au rang d’esclave, nous lavant les pieds, c’est à la fois pour que nous comprenions qui est vraiment ce maître-là : un Dieu qui aime l’homme au point de le servir, et que nous nous mettions à son école : « Pour que vous fassiez vous aussi ce que j’ai fait pour vous. »
C’est pourquoi, frères et sœurs, nous devons porter une attention toute particulière à chaque acte de service que nous posons. Nous devons les poser avec la même tendresse, avec la même abnégation avec la même humilité infinie et avec le même amour que le Christ.
Car, en faisant, nous aussi ce que le Christ a fait pour nous en ce soir du dernier repas ; en nous mettant à genoux pour servir nos frères, tous nos frères, nous nous élevons à la hauteur de Dieu. Oui, tout acte de service nous rapproche de Dieu et nous façonne en vrais disciples et en bons serviteurs.
Et pour réussir Jésus a pensé à tout, il nous a aussi et surtout offert :
• Son Eucharistie pour nous donner les forces nécessaires pour le Service et
• Sa présence apaisante et encourageante dans l’adoration.
• Son Esprit pour nous porter conseil
• Nos frères à servir et à aimer…
Que Dieu est bon !
Amen.
Jean-Marie Blondel