La fête de ce jour a reçu plusieurs noms qui, chacun, dise un aspect du mystère. On l’ a appelée « Invention de la Sainte Croix » invention au sens de « découverte » de la Croix du Christ par l’impératrice Sainte Hélène… « Exaltation de la Sainte Croix » en souvenir du 14 septembre 335, lendemain de la consécration de la basilique de la Résurrection (Anastasis) à Jérusalem où la Sainte Croix du Christ fut présentée à la vénération des fidèles. Aujourd’hui on dit « La Croix glorieuse » et c’est un sens très riche que je vais tenter de vous montrer.
Quand nous sommes devant la croix le vendredi saint, nous sommes consternés devant ce qu’on a fait souffrir au Christ : une condamnation injuste, le double supplice - qui ne se faisait jamais - de la flagellation et de la crucifixion. Consternés et pleins de compassion, comme arrêtés devant tant de méchanceté et de souffrance infligées à un Juste. Mais nous risquons de nous arrêter à cette souffrance et de ne pas voir le sens profond de cet événement. La liturgie tente de nous tirer en nous faisant entendre au commencement de l’office du Vendredi saint le cri d’Isaïe que le Père nous adresse : « Mon Serviteur réussira » ! Et La passion selon saint Jean nous montre le Christ monter vers la Gloire ! Et pourtant nous sommes restés longtemps en Occident dans cette première partie de l’hymne des Philippiens que nous venons d’entendre : la Croix… la Résurrection apparaissant comme un miracle de confirmation que le salut était dans la Croix seulement. La Croix est glorieuse en ce sens que le mystère pascal de notre salut est UN SEUL MYSTERE, à deux faces, une de souffrance et une de Résurrection, les deux imbriquées l’une dans l’autre sans séparation possible.
La Gloire, qu’est-ce c’est ? Attention au contre-sens ! Il ne s’agit pas d’honneur, de puissance, d’argent … La Gloire de Dieu, c’est son rayonnement, sa « manifestation » son resplendissement ! Et l’auteur des Hébreux nous enseigne – c’est ce que nous lisons le matin de Noël - : « À BIEN DES REPRISES et de bien des manières, Dieu, dans le passé, a parlé à nos pères par les prophètes ; mais à la fin, en ces jours où nous sommes, il nous a parlé par son Fils … par qui il a créé les mondes… Rayonnement de la gloire de Dieu, expression parfaite de son être, le Fils… » Le rayonnement de Dieu, c’est le Fils ; la Gloire de Dieu, c’est le Fils devenu homme pour s’approcher des hommes et leur faire « voir » le Père : « Qui me voit, voit le Père » dit Jésus à l’apôtre Philippe. « Je ne dis rien que ce que le Père me dit de dire… je ne fais rien que je ne vois faire au Père… » Jésus nous le répète : tout son être manifeste le Père avec lequel il est UN. Tout son être est comme transparent à cette Présence divine pour révéler le Père Source et Origine de tout. Balthasar dit : « Jésus fait de sa vie un mémorial du Père ».
Et c’est sur la Croix que ce resplendissement est le plus total : « Quand vous m’aurez élevé de terre disait Jésus, vous saurez que Je Suis ». Saint Paul le dit lui-même : « Puisque… le monde, avec toute sa sagesse, n’a pas su reconnaître Dieu, il a plu à Dieu de sauver les croyants par cette folie qu’est la proclamation de l’Évangile. Alors que les Juifs réclament des signes miraculeux, et que les Grecs recherchent une sagesse, nous, nous proclamons un Messie crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les nations païennes. Mais pour ceux que Dieu appelle, qu’ils soient Juifs ou Grecs, ce Messie, ce Christ, est puissance de Dieu et sagesse de Dieu. »
C’est donc sur la Croix que se révèle la toute puissance de Dieu dans son impuissance volontaire, c’est-à-dire dans le renoncement à sa toute puissance ; Dieu qui assume en lui toute la désespérance des hommes - « Mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné ? » - qui leur donne son pardon – « Père pardonne-leur » et les unit définitivement au Père - « en toi je remets mon esprit » et en mourant « il remit l’Esprit ». Et la Résurrection l’éternise dans cette action. Toutes nos fausses visions de Dieu doivent donc être corrigées dans la contemplation du resplendissement de Dieu sur la Croix dans le Christ.
Et ce « buisson ardent » qu’est la Croix complète la révélation du Nom de Dieu commencée au « buisson de Moïse » : « Je suis qui Je suis »… « Dieu est » donc. Il EST. La Croix montre « Il est AMOUR » infini, inconditionnel comme l’enseigne St Jean dans sa première épître. « Mais proclame St Paul, ce que nous proclamons, c’est, comme dit l’Écriture : ce que l’œil n’a pas vu, ce que l’oreille n’a pas entendu, ce qui n’est pas venu à l’esprit de l’homme, ce que Dieu a préparé pour ceux dont il est aimé…Car il est écrit : Qui a connu la pensée du Seigneur et qui pourra l’instruire ? Eh bien nous, nous avons la pensée du Christ ! »
Et Nous, nous allons recevoir dans l’eucharistie, ce Christ Ressuscité qui porte les traces de la crucifixion, « les cicatrices de son amour ». Amen