27ème dimanche C
Voilà des paraboles courtes et efficaces chers frères et sœurs ! Et permettez que je focalise mon homélie sur celle du simple serviteur. Pour un diacre (Diakonos en grec, c’est-à-dire serviteur), cela ne devrait pas vous surprendre.
Mais la parabole que nous venons d’entendre se révèle d’une grande exigence, puis qu’elle met en scène un serviteur qui a vécu une journée bien remplie et qui est appelé à encore servir son maître avant le repos mérité. En effet voilà qu’il rentre, harassé et fourbu, après avoir fait paître son troupeau et labouré le champ, et voilà qu’il doit encore servir à la table de son maître avant même de se restaurer. Tout se passe comme si le maître était insatiable, demandant toujours plus, semblant sans reconnaissance pour cet homme laborieux et obéissant. Mais, même s’il est provocant, c’est l’exemple que Jésus choisit pour nous enseigner aujourd’hui. Il faut bien se laisser bousculer parfois !
Alors interrogeons-nous : pourquoi cette insistance du Christ sur la nécessité de servir encore et toujours quand on a déjà fait tant pour le maître ? Les organisations syndicales qui s’agitent si facilement, n’accepteraient certainement pas telle exploitation qui justifierait, à leurs yeux, une grève en bonne et due forme et un procès aux prud’hommes pour le propriétaire. … Mais ce serait oublier que les lois de Dieu ne sont pas celles des hommes et que nous ne sommes pas de ce monde.
Alors comment comprendre dans la foi cette parabole qui honnêtement nous trouble, même si nous ne sommes pas syndiqués ? …
Une des clefs de compréhension ne réside-t-elle pas dans le fait que la foi peut tout en nous quand nous acceptons de n’être rien… Laissant à Dieu toute possibilité d’agir en nous ?
Quand c’est ainsi, la foi agit avec toute sa puissance à partir du moment où nous reconnaissons toute notre impuissance. Vous vous rendez compte ! Une foi de la taille d’une graine de moutarde peut déraciner un arbre, d’après Luc, et déplacer une montagne d’après Matthieu (Mat 17,20) !
Oui, avoir une foi réelle et solide en l’amour de Dieu nous place, dans un mouvement intérieur d’adoration, d’union à la volonté de Dieu qui nous rend disponibles à son action en nos vies. Disponibilité qui consiste à mettre de côté tout ce que nous projetons ou bâtissons sans les confier ou les mettre dans les mains de Dieu ; tout ce que nous pensons pouvoir faire par propres forces. Disponibilité qui consiste à accepter de ne pas construire seul nos vies, mais à les remettre entre les mains du Père.
Ainsi, il y a, d’un côté, l’homme ne comptant que sur ses propres forces, dont la foi n’est pas agissante, et qui ne bâtit que des rêves, des chimères qui ne dureront pas. Regardons autour de nous, nous voyons bien ce que deviennent les entreprises humaines si ce n’est pas Dieu qui les édifie. Faut-il parler ici de politique ? Je m’en abstiendrai. Et il y a de l’autre côté, l’homme qui confie tout à Dieu, s’abandonnant à sa volonté et qui, lui, bâtit pour la vie éternelle, même si les résultats de ses actions ne sont pas toujours visibles en ce monde. Dieu connaît nos cœurs dès qu’il les habite. Dieu guide nos cœurs dès que nous Lui confions nos vies.
Rien ne tient sur terre et ne dure vraiment que Dieu Lui-même n’édifie et ne pose sur son propre fondement. « Si le Seigneur ne bâtit la maison, les bâtisseurs travaillent en vain ; si le Seigneur ne garde la ville, c'est en vain que veillent les gardes. En vain tu devances le jour, tu retardes le moment de ton repos » chante le psaume (Ps126)
Ainsi Dieu appelle-t-il et rend-t-il fertile, le serviteur pétri de foi en son amour, le serviteur, disponible, docile et infatigable capable de faire sa volonté, et avec qui il rend possible l’impensable…
C’est le chemin que nous propose Jésus aujourd’hui, une autre voie, un sentier tortueux mais si joli, qui consiste à le laisser agir en reconnaissant dans la foi notre impuissance. A laisser triompher la force de Dieu dans notre faiblesse et à bâtir notre existence sur le roc d’une vie spirituelle forte d’une intime relation avec le Christ.
C’est ainsi que la foi nous conduit à reconnaitre que nous ne sommes que de pauvres serviteurs.
Pauvres, mais fiers d’être instruments de Dieu. Car être serviteur n’a jamais été une contrainte ou une honte, dans l’histoire biblique, C’était un honneur et une joie. Nous pourrions citer Moïse, le serviteur fidèle, David protégé par Dieu parce qu’il le sert fidèlement. Et le saint suprême révélé au travers du Serviteur souffrant décrit par Isaïe préfiguration du Christ. Et au Christ de fermer la marche pour nous ouvrir les portes du Royaume et du festin éternel réserver aux bons serviteurs. Il est venu sur cette terre nous montrer l’exemple parfait du service et la voie de la sainteté à emprunter.
Il se présente lui-même comme n’étant « pas venu pour être servi, mais pour servir. » (Mat 20,28). Il nous a enseigné qu’il était parmi nous comme « celui qui sert » (Lc 22,27). Il se met au service de ses disciples qu’il instruit, des étrangers qu’il visite, des malades qu’il guérit, de ses ennemis avec qui il accepte de débattre jusqu’à se faire contester, insulter, lapider, crucifier. Il sera tellement serviteur qu’il lavera les pieds de ses apôtres dans un geste d’abaissement incroyable expliquant que celui qui veut être grand parmi nous se fera notre serviteur.
Alors, si la parabole du serviteur que nous venons d’entendre nous pose encore question, c’est que nous n’avons pas encore découvert qu’il préfigure le Christ qui au terme de sa vie a labouré dans le champ du Père (Jn 4,36-38), a fait paître le troupeau sur la Terre Sainte et qui s’est offert en nourriture, nous donnant son corps, pain de vie et son sang en breuvage du banquet éternel.
Aujourd’hui, il nous invite à prendre ce chemin d’amour qui consiste à tout donner jusqu’à notre dernier souffle. Dieu nous aime infiniment, Il n’attend que notre réponse à son amour au travers d’un service permanent guidé par sa Parole.
Aurons-nous assez de foi pour le suivre ?
Amen.
Jean-Marie Blondel, diacre