La première partie de la messe - on l'appelle la liturgie de la Parole - nous a rassemblés autour de Jésus Notre Seigneur : en venant à la messe, nous nous sommes approchés de Lui, ensemble, comme le peuple de Dieu. Nous l'avons écouté nous expliquer les Ecritures et sa Parole a été efficace en nous, elle a effacé nos péchés. Nous avons prié par Lui notre Père, nous avons reçu le pardon des péchés. Bref, dans la joie, nous étions avec Lui en Galilée, autour du lac, avec les apôtres et les premiers disciples.
Commence alors la seconde partie de la messe.
Le climat change. Nous sommes montés à Jérusalem avec le Seigneur et bien vite, nous sommes mis devant son sacrifice, son offrande au Père sur la Croix pour nous, sa mise au tombeau et sa Résurrection découverte au matin de Pâques.
Le Christ est seul dans son sacrifice, nous sommes devant Lui, au pied de la Croix avec Marie, Marie Madeleine et Jean, au tombeau[1] avec Nicodème et Joseph d'Arimathie, au matin de Pâques, au tombeau vide avec Pierre, Jean et Marie Madeleine. Dans cette seconde partie de la messe, nous allons davantage nous taire, regarder et écouter le prêtre qui agit « in persona Christi » « en la personne du Christ » : l'offrande du sacrifice est celle que fait le Christ d'abord seul (représenté sacramentellement par le prêtre), puis nous-mêmes « par Lui, avec Lui et en Lui », si nous le voulons. Mais cette solitude première du Christ s'exprime par le fait que nous sommes bien moins actifs extérieurement que dans la première partie de la messe et que notre participation est essentiellement intérieure, offrande de tout nous-mêmes à Dieu.
Les rites utilisés par l'Eglise dans cette seconde partie de la messe sont inspirés, à la fois, du rituel du repas du sabbat (donc chaque semaine) et de celui du rituel du repas pascal, célébré chaque année. Et ce jusque dans bien des détails : la nappe blanche, le pain azyme, c'est-à-dire sans levain comme le pain de la Pâque juive, et la coupe de vin ; la lumière, le plateau sur lequel sont posées les hosties, l'eau mise dans le vin de la coupe[2], la parenté de certains textes. L'évangéliste St Luc - au chapitre 22 de son Evangile - raconte la dernière Cène au cours de laquelle Jésus institue l'Eucharistie, dans une évocation très précise des rites de repas pascal juif. Il nous indique par là que cette proximité des rites traditionnels juifs et chrétiens est voulue par le Seigneur lui-même.
La prière eucharistique a commencé par une louange de Dieu prononcée par le prêtre qui s'achève par une acclamation solennelle de Dieu : »Saint, Saint Saint »...L'Eglise nous fait reprendre les acclamations des Anges entendues par Isaïe dans une vision au Temple. Gravité extrême du moment : nous sommes avec les Anges devant la majesté divine ! Nous sommes dans le Saint des Saint où se faisait chaque année le sacrifice pour le pardon des péchés. Nous sommes devant Dieu.
Alors commence le récit de la Dernière Cène à l'atmosphère si pascale.
Quand les fils d'Israël célèbrent la Pâque chaque année, à la nouvelle lune de printemps, ils ont conscience non pas de se souvenir de la Sortie d'Egypte mais de la vivre ! Le rite n'est pas simplement moyen de se souvenir ; le rite, quand on l'accomplit, fait vivre dans le dynamisme de l'événement historique célébré, unit à Dieu qui libère son peuple, fait grandir la liberté du peuple saint qui célèbre la Pâque.
Quand nous participons à la messe, nous faisons la même expérience : nous vivons le mystère pascal, nous entrons dans le dynamisme de la Pâque du Seigneur Jésus. C'est ce que signifie notre chant d'acclamation aussitôt après la consécration : « Nous rappelons ta mort Seigneur Jésus, nous célébrons ta résurrection, nous attendons ta venue dans la Gloire. » Plus encore : puisque le pain est devenu vraiment son Corps et le vin son Sang, en communiant, nous sommes incorporés dans le Christ Ressuscité et nous devenons davantage « l'Eglise », le Corps du Christ.
Le Père Louis Lallemand, un jésuite français du XVIIè siècle, explique cela magnifiquement : « Jésus a dit : « celui qui mange ma chair demeure en Moi et Moi en lui. » Ces paroles marquent l'union admirable que nous avons avec notre Seigneur dans le sacrement de l'Eucharistie. Par la communion, nous sommes unis directement au Corps et au Sang de Jésus-Christ et, par eux, à son âme et à sa divinité. Son Corps se mêle avec notre corps, son Sang avec notre sang, son Ame se joint à notre âme, son imagination règle la nôtre, son intelligence éclaire la nôtre, sa volonté enflamme et fortifie la nôtre; ses sens purifient les nôtres.
Ainsi nous devenons un moment semblables à Notre Seigneur et nous pouvons devenir meilleurs. Ainsi les hommes se changent et se perfectionnent dans la sainte communion. A proportion que nous sommes disposés, Notre Seigneur vient demeurer en nous. Il unit réellement son corps au nôtre et son esprit au nôtre bien que nous ne sachions pas comment se fait cette union.
Après la communion,.... ce que nous devons faire, c'est de nous abandonner à l'oeuvre que fait en nous Notre Seigneur, lui laisser effacer nos péchés et en arracher les racines. »
Pour nous unir à ce qui se passe sur l'autel, avant de communier, il nous faut contempler les gestes du prêtre - ils ont tous un sens - écouter attentivement ses paroles et nous unir profondément à tout ce qui est dit comme prière puisque le prêtre parle au nom de tous : il dit « nous ».
Ainsi, le Seigneur Jésus présent sur l'autel après la consécration où le prêtre a refait les gestes de Jésus et prononcé ses paroles, est montré « comme immolé » : le Corps est placé sur la patène d'un côté et le Sang dans la coupe de l'autre côté, exactement comme on faisait pour immoler les Agneaux de la Pâque dans le Temple : le sang était recueilli minutieusement dans une coupe quand on immolait l'Agneau pascal. Bien sûr, on ne refait pas le sacrifice du Christ, « accompli une fois pour toutes » et sauveur une fois pour toutes ! Mais on le représente comme immolé, séparé ... avant de réunir dans la même coupe le Corps et le Sang[3] pour proclamer sa Résurrection.
Le prêtre prie seul pour nous montrer que le Christ s'est offert seul pour nous sauver. En étant en quelque sorte « spectateur » de ce sacrifice, dans notre cœur, dans l'élan de notre prière, nous devons alors nous unir à cette offrande du Christ : après avoir rassemblé dans le Christ le Pape, l'évêque du lieu et tous les évêques, les prêtres, les diacres, les fidèles défunts, les fidèles présents, tout le peuple de Dieu, les hommes qui cherchent Dieu avec droiture et tous les saints, le prêtre offre au Père le Christ « total » : « Par Lui, avec Lui et en Lui.... » Je dois être pris dans cette offrande pour, uni au Christ, devenir une louange à la Gloire de Dieu le Père. Voilà ma participation à l'offrande parfaite du Christ ! Voilà ma participation à la messe comme le demande le Concile : « Dans l'action liturgique, ... les fidèles participent de façon consciente, active et fructueuse...C'est pourquoi dans le sacrifice de la messe, nous demandons au Seigneur qu'ayant agréé l'oblation du sacrifice spirituel (du Christ à l'autel), il fasse pour lui de nous-mêmes une éternelle offrande. »[4]
Adorer, s'offrir, et communier, voilà la participation « consciente, active et fructueuse » à la cette seconde partie de la messe que nous venons de décrire et qui s'achève par la bénédiction et l'envoi en mission « allez dans la paix du Christ », comme autrefois ce fut le cas sur le Mont des Oliviers quand Jésus rassembla les siens avant de disparaître à leurs yeux.
[1] Dans les livres liturgiques, souvent on appelle l'autel « le tombeau » sur lequel est déposé le pain qui va devenir le Corps Ressuscité du Christ.
[2] En Palestine au temps de Jésus pour conserver le vin on le fait madériser. Il devient donc très alcoolisé et très épais ; pour le boire, on mêle de l'eau. Jésus a accompli ce geste le soir du jeudi saint et en souvenir, le prêtre le fait toujours aujourd'hui.
[3] Le prêtre, pendant le chant de « l'Agneau de Dieu » fractionne l'hostie et en prend une petite parcelle qu' il met dans le calice.
[4] Constitution sur la liturgie de Vatican II. N°11 et 12. Voir aussi la prière eucharistique III : « fais de nous une éternelle offrande à ta Gloire ».