Le Magnificat
« Là où est ton trésor, là sera ton cœur. » (Luc 12/34) Ainsi s’exprime Jésus dans une discussion avec les siens sur le chemin de Jérusalem. Et il poursuit en montrant aux siens ce qui est secondaire et ne doit pas constituer leur « trésor ». Le trésor, en effet, c’est ce à quoi on tient par dessus tout ! C’est là où on met tout l’élan de son être, tout son cœur au sens du 17ème siècle c’est-à-dire tout son courage, c’est ce qu’on veut vraiment, c’est ce qui en fin de compte, donne sens à notre existence. C’est ce qui nous fait « courir ».
Dimanche dernier, devant les siens, Jésus dit le trésor de son cœur : « je suis venu apporter un feu sur la terre (Jean Baptiste l’avait annoncé : « Lui vous baptisera dans le feu et l’Esprit ».) et comme je voudrais qu’il brûle déjà. Je suis venu pour un baptême et quelle est mon angoisse jusqu’à ce qu’il ne soit accompli. » (Luc 12/49) Le trésor du Christ, c’est sa mission de donner le Feu de l’Esprit Saint par le chemin d’un baptême, un « plongeon » au sens propre dans les ténèbres, le péché et la mort des hommes pour en ressusciter.
Aujourd’hui 15 août, c’est Elisabeth et Marie qui nous livrent « le trésor de leur cœur ». Elisabeth chante sa joie d’être mère mais surtout l’expérience inouïe de sentir l’allégresse de son enfant en son sein quand il rencontre l’enfant qui est dans le sein de la Vierge, « la Mère de son Seigneur venue à elle ».
Et Marie lui répond par sa prière à haute voix, le Magnificat.
Nous voyons comment prie Marie, comme une femme qui vit dans la Bible. Elle s’est constituée « un trésor de Paroles divines reçues par les prophètes et les psaumes ; elle les a passées et repassées dans son cœur, elles ont pris chair en elle et maintenant, elle les redit à Dieu comme des Paroles divines qui, incarnées en elle, sont capables d’exprimer tout son être, tout son trésor intérieur.
Marie exulte du plus profond de son être : elle ne prie pas seulement devant Dieu mais EN DIEU : « mon esprit exulte EN Dieu mon Sauveur ». Elle se sait si petite qu’elle ne s’aperçoit pas d’elle-même; elle est toute fascinée par Le Très-Haut, possédé par Lui, ce qu’il est et ce qu’Il lui donne. En ce sens, elle est encore plus humble que le publicain de la parabole: elle s’est perdue de vue en exultant et en magnifiant Dieu alors que le publicain est encore un peu centré sur lui, en ne faisant que demander pardon de ses péchés. Il a une juste attitude devant Dieu mais n’a pas encore accédé à la véritable humilité.
Et sa joie confesse le don extraordinaire qui lui a été fait : « Le Puissant a regardé soin humble servante et a fait pour moi des merveilles. » La Vierge Marie, dans son cantique du Magnificat, se déclare d’emblée « l’humble servante » du Seigneur... ce qu’elle avait dit à l’ange de l’Annonciation: « je suis la servante du Seigneur qu’il me soit fait selon votre parole ». Marie se présente comme l’humble servante de Dieu.
Elle est humble dans le fait qu’elle reconnaît en toute vérité les dons que Dieu lui fait et qu’elle en dit l’ampleur sans fausse hésitation: « Le Très-Haut ( servante elle est la Très bas) a fait pour moi des merveilles, toutes les générations me diront bienheureuse. » Elle sait la mesure du don de Dieu d’être la mère du Fils de Dieu. Elle sait la mesure du don et sait qu’elle sera, à cause de cela, toujours dans le cœur des croyants dont toutes les générations la proclameront bienheureuse. Voilà la véritable humilité: un regard juste sur soi, un sens calme de sa petitesse, une reconnaissance loyale et limpide des dons que Dieu a faits, une action de grâce joyeuse et filiale pour Dieu qui a tant comblé, sans raison, sans mérite de notre part.
Cette humilité est NECESSAIRE pour aller à Dieu, ce désir d’humilité au moins. Car Dieu est lui-même humble – « je suis doux et humble de cœur » dit Jésus l’Image parfaite du Père – et il est le Dieu des humbles : c’est ce que les saints du judaïsme après l’exil ont découvert et vécu, eux les « pauvres du Seigneur »… que Jésus déclare heureux.
Le Dieu dont parle ensuite Marie est un Dieu qui est le Dieu des humbles : d’où le renversement des puissants, l’exaltation des humbles, le renvoie des superbes, des riches les mains vides alors que les mains des affamés sont comblées. Marie vit déjà de l’enseignement radical de Jésus - « qui s’élève sera abaissé » - enseignement qui est en fait le grand combat spirituel de chaque croyant. Et ce combat n’est pas seulement contre les vanités ridicules dont le pharisien est un bel exemple et que la société humaine nous offre si souvent ! C’est un combat pour atteindre vraiment la limpidité du cœur et être débarrassé des vanités secrètes qui sont un frein à la pleine réalisation surnaturelle de notre personne.
Enfin Marie nous livre la dernière merveille de Dieu à ses yeux : Dieu s’est souvenu, lui le Dieu fidèle, de sa promesse à Abraham ; il s’est souvenu et il a réalisé ce qu’il avait promis. Abraham par l’enfant qu’elle va mettre au monde, aura des enfants aussi nombreux que les étoiles du ciel puisque « ce mystère, c’est que toutes les nations sont associées au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, dans le Christ Jésus, par l’annonce de l’Évangile. » (Ephésiens 3/6)
« Que faisons - nous de vivre en nous-mêmes,... de nous glorifier en la connaissance que nous avons ? que sommes-nous ? Que savons-nous ? Nous savons quelque chose des langues et des sciences humaines.... et quand tout cela serait en sa perfection, qu’est-ce au regard de ce à quoi nous sommes appelés ? Nous sommes appelés à des choses plus grandes. Nous sommes appelés à connaître non seulement ce monde mais l’auteur du monde et à vivre en Lui et de Lui une vie sans fin....Appelés à un si rare objet, à une vie si haute, à une félicité si grande, ne revalons pas nos esprits à choses si basses, ne mettons pas notre plaisir en une vanité si petite que nous-mêmes....O vision de Dieu! C’est notre vie pour jamais: ne nous contentons de rien moins. » Cardinal Pierre de Bérulle. 17ème siècle français.