St Luc 22/39-47
Jésus sortit pour se rendre, selon son habitude, au mont des Oliviers, et ses disciples le suivirent. Arrivé en ce lieu, il leur dit : « Priez, pour ne pas entrer en tentation. » Puis il s’écarta à la distance d’un jet de pierre environ. S’étant mis à genoux, il priait en disant : « Père, si tu le veux, éloigne de moi cette coupe ; cependant, que soit faite non pas ma volonté, mais la tienne. » Alors, du ciel, lui apparut un ange qui le réconfortait. Entré en agonie, Jésus priait avec plus d’insistance, et sa sueur devint comme des gouttes de sang qui tombaient sur la terre. Puis Jésus se releva de sa prière et rejoignit ses disciples qu’il trouva endormis, accablés de tristesse. Il leur dit : « Pourquoi dormez-vous ? Relevez-vous et priez, pour ne pas entrer en tentation. » Il parlait encore, quand parut une foule de gens. Celui qui s’appelait Judas, l’un des Douze, marchait à leur tête. Il s’approcha de Jésus pour lui donner un baiser. »
Méditons cette scène extraordinaire de l’agonie de Jésus à Gethsémani telle que nous la racontel’évangéliste St Luc.
1 - Jésus sortit pour se rendre, selon son habitude, au mont des Oliviers, et ses disciples le suivirent.
C’est donc dans le lieuhabituel du Mont des Oliviers que Jésus et les siens se retrouvent après le dernier repas. C’est là que Jésus enseignait ses apôtres, priait et se détendait avec eux dans une des grottes qui gardait la fraicheur en été et préservait du froid et de la pluie en hiver dans cette ville à 900m d’altitude. C’est le dernier moment heureux de Jésus sur cette terre.
C’est aussi le moment où sa vie bascule : jusque-là, Jésus conduit par l’Esprit Saint a été un homme qui conduit sa missioncomme le Père le veut, qui prend les initiatives, organisent « certains mises en scène »… Maintenant, selon la volonté du Père, il va être livréaux hommes.
2 - Arrivé en ce lieu, il leur dit : « Priez, pour ne pas entrer en tentation. » Ce soir pas question d’enseignement ou de rencontre : Jésus est venu dans ce lieu familier pour prier. Cette prière est mentionnée 5 fois dans ces quelques lignes … savamment composées :
« Priez, pour ne pas entrer en tentation. » 40b
S’étant mis à genoux, il priait 41b
Entré en agonie, Jésus priait avec plus d’insistance 44b
Puis Jésus se releva de sa prière 45a
priez, pour ne pas entrer en tentation. » 46d
… Et le centre est cette prière de combat(c’est le sens du mot agonie en grec) que le Christ doit mener dans ce jardin. Il faut nous approcher avec délicatesse et infini respect de cette prière unique dans la vie du Christ.Nous connaissons sa longue et habituelle prière de nuit dans l’unité d’amour avec le Père et l’Esprit Saint ; nous connaissons la prière avant les grands événements (le choix des apôtres, la transfiguration) ; nous connaissons sa prière d’exultation de joie dans l’Esprit quand la mission des apôtres rencontre le succès contre Satan. Mais ici c’est prière de combat.
3 - Puis il s’écarta à la distance d’un jet de pierre environ. S’étant mis à genoux, il priait en disant : « Père, si tu le veux, éloigne de moi cette coupe ; cependant, que soit faite non pas ma volonté, mais la tienne. »Cette prière, Jésus veut la mener seul… même s’il a demandé l’aide de la prière de ses disciples… donc plus que les apôtres… le groupe plus large…d’hommes et de femmes qui ont fait le choix de le suivre et dont St Luc soulignera l présence à la Croix. Marie était peut-être au milieu d’eux déjà.
Lui seul doit mener le combat… mais il compte sur la prière des siens. Mais quand il rejoignit ses disciples après sa prière il les trouva endormis, accablés de tristesse.N’est-ce pas notre tentation habituelle de « dormir » quand il faudrait être vigilant, éveillé, dans la prière pour soutenir le combat de l’Eglise … Nous sommes si souvent des disciples endormis… ?
« Père, si tu le veux, éloigne de moi cette coupe ; cependant, que soit faite non pas ma volonté, mais la tienne. » Voilà donc le contenu de cette prière, de ce combat que nous pouvons comprendre à plusieurs niveaux :
- nous pouvons comme assister à l’union des volontés dans le Christ, union de la volonté divine de sa nature divine et volonté humaine de sa nature humaine. Lentement, comme au ralenti, avec effroi la volonté humaine fait sienne la volonté divine. Là où Adam et Eve ont refusé d’obéir à Dieu dans le jardin du Paradis, dans le jardin du Mont des Oliviers, un autre Adam – le nouvel Adamdira St Paul – fait sienne, malgré son effroi, la volonté divine. Nous sommes dans cette volonté humaine de Jésus qui obéit car dans son Incarnation, le Verbe a pris la totalité de la nature humaine, la nôtre. « Le Christ Jésus, ayant la condition de Dieu, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’est anéanti (littéralement, il s’est vidé), prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes. Reconnu homme à son aspect, il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix. » (Philippiens 2/6-8)
- la coupe ? « Le Père tend le calice des iniquités humaines à son Fils, l’appelle à dépasser le tremblement, la frayeur de sa nature humaine, non pas devant la souffrance physique, mais devant la charge écrasante du Péché universel, devant le passage mystérieux et redoutable par les portes de la mort. Le second Adam s’identifie avec le premier et s’enfonce à Gethsémani dans la nuit mortelle de l’angoisse… Le Christ devient le sujet du péché librement accepté. »[1]Dieu aurait pu sauver l’homme d’une parole comme la parole créatrice. Mais ici pour prouver son amour , le Christ est appelé par le Père à devenir lui-même pécheur par amourpour les hommes qu’il prend en lui pour leur donner en échange sa justice. St Paul le dit avec force : « l’amour du Christ nous saisit quand nous pensons qu’un seul est mort pour tous, et qu’ainsi tous ont passé par la mort. Car c’est bien Dieu qui, dans le Christ, réconciliait le monde avec lui : il n’a pas tenu compte des fautes... Celui qui n’a pas connu le péché (Jésus), Dieu l’a pour nous identifié au péché, afin qu’en lui nous devenions justes de la justice même de Dieu. » (2 Co. 5/14, 18, 21) C’est « l’amour fou de Dieu » pour l’homme.
4 - Entré en agonie, Jésus priait avec plus d’insistance, et sa sueur devint comme des caillots de sang qui tombaient sur la terre. C’est dire l’intensité du combat, le séisme intérieur au cœur du Christ : lui le Fils bien aimé, toujours uni au Père qu’il aime dans l’Esprit d’amour expérimente en lui-même, comme étant de lui, la haine des hommes envers Dieu ! « Pour le Christ, accepter la croix signifie introduire à l’intérieur de soi, par compassion, le Péché du monde comme le sien propre. La Croix fait culminer l’abîme de l’innocence et l’abîme des ténèbres dans le même cri Abba Père ! »[2]Dans ce jardin ... « Dieu prend sur lui sa réponse à sa propre Justice, assume la conséquence ultime de son acte de création [3]» d’un homme libre « imprévisible même pour Dieu »[4]comme disent les Pères.
5 - Alors, du ciel, lui apparut un ange qui le réconfortait.
Dieu le Père prend soin de son Fils dans son combat… comme il avait pris soin naguère des Moïse dans son œuvre de libération du peuple ou d’Elie[5]dans son combat pour le vrai Dieu. Dieu l’Impassible, par amour se fait passible, souffrant dans le Fils uni à la nature humaine mais en son cœur de Père : son amour transcende sa propre transcendance et nous devons vénérer en même tempssonimpassibilité et son grand amour. « L’Esprit Saint est la joie où le Trois se complaisent ensemble… A l’agonie, L’Esprit Saint devient la souffrance ineffable où les Trois s ‘unissent. Le Père se prive du Fils et le Fils passe comme en un instant d’éternité par l’infini divin de la solitude. L’Esprit Saint amour réciproque du Père et du Fils s’offre en sacrifice, s’approprie à sa manière la Croix afin de devenir « la puissance invincible de la Croix ».[6]
« Le Père se prive du Fils et le Fils passe comme en un instant d’éternité par l’infini divin de la solitude. » dit Paul Evdokimov. On peut comprendre cet aspect si terrible de cette scène en contemplant Jésus qui crie « Abbé Père »et qui n’a comme réponse de Fils …qu’un ange…comme les hommes dans la détresse.
6 - Puis Jésus se releva de sa prière et rejoignit ses disciples.
Jésus se relève comme apaisé. Conforté par cette prière et cette proximité réelle mais comme insensible du Père et de l’Esprit, Jésus dominera sereinement la situation et même sa mortqui sera accompagnée d’une prière paisible :
« Pèrepardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font »,
« Aujourd’hui, tu seras avec moi au Paradis » et
« Père, entre tes mains je remets mon Esprit(pneuma en grec) »…
paisible jusqu’à la mort : « Jésus expire » dit St Luc et c’est un verbe composé du mot « esprit » en grec (exèpneusen). « Sur la Croix le Christ a assumé la mortalité même. La puissance de la mort est dans son autonomie mais la Christ donne sa mort au Père et c’est pourquoi, en Christ, c’est la mort qui meurt. Par sa mort, il a vaincu la mortchante le tropaire de Pâques. Dès lors aucun homme ne meurt plus seul – « Personne ne passa vers le Père sans passer par moi » (St Jean 14/6) – Le Christ meurt avec lui pour ressusciter avec lui. »[7]
[1]Paul Evdokimov l’art de l’icône, théologie de la beautép. 258 et 257
[2]Evdokimov op. cit. p. 260
[3]p. 260
[4]idem p. 260
[5]1 Rois 19/4-8
[6]idem p. 258
[7]idem p. 261